Episode 16 – William : Le chat sur l’accoudoir

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           Il y a foule. À la cérémonie, nous avons manqué de chaises pour accueillir tout le monde. Il y a les vrais amis, la famille, les proches, les employés, et même des pique-assiettes et pleureuses qui courent les enterrements. Le nombre de convives se chiffre en centaines, pour ne pas dire en milliers.

Mon mentor était un patron adoré. Il a tant fait pour son entreprise, tant fait pour ses employés. Je serre de nombreuses mains, dont celle d’un type à la cravate vert anis.

— J’imagine que c’est une putain de plaisanterie ? je vocifère quand l’intrus me tend la main.

— Allons… Allons, mon très cher… Quel est votre nom, au fait ? interroge le type avec un air doucereux.

— William Roberts.

Il hoche la tête, mais je vois bien à son regard vide qu’il ne sait pas du tout qui je suis. Il était juste évident qu’il fallait me serrer la main car je suis à côté de Cécilia,  à refouler des larmes que je me refuse de verser en public. Je bombe le torse, toise ce mec qui doit être là pour profiter du buffet.

— Je suis un ami proche d’Audrey.

Son information ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Je me crispe et m’évertue à serrer le plus possible ses doigts jusqu’à le faire grimacer.

— J’ignorais qu’Audrey fréquentait des clowns…

— Ah ! Vous avez de l’humour ! Vous pourriez… me lâcher…

Je presse encore jusqu’à les entendre craquer avec un rictus machiavélique. Quand je libère sa main, elle vire déjà au rouge violacé.

Richard part retrouver Audrey qui est revenue de son escapade à l’étage. Malgré la tristesse qui doit l’accabler, elle affiche un air serein, et répond aimablement à chacun. A cet instant, je sens mon admiration grandir. Je secoue la tête, me refous les idées en place. J’observe cette faune éploré ou tout simplement consterné. J’ai du mal à dissocier qui est réellement en peine et qui se donne en spectacle, les gens sont bons comédiens dans ce milieu.

Je fends la foule, serre les mains tendues et entends toujours les mêmes condoléances. Au loin, je vois le type à la cravate verte poser la main sur sa joue. Mes veines se mettent à bouillir d’une colère dévastatrice. Le voir la toucher m’insupporte sans que je ne puisse me l’expliquer.

Mes poings se serrent, mon peu d’ongle se plante dans ma chair alors qu’il lui fait des amabilités que je devine d’ici. Mais Audrey se détourne, continue de faire son tour de courtoisie pour remercier toutes les personnes présentent. Je ne sais pas comment elle peut avoir l’énergie de s’occuper ainsi de tout le monde.

— Richard va bien s’occuper d’elle, ne vous inquiétez pas, me rassure une amie de la famille.

— Je ne suis pas inquiet ! Et c’est le rigolo à cravate verte le Richard ?

— Oui, un homme fantasque. Il travaille dans la mode, vous comprenez… Mais il aime Audrey, c’est ce qui compte.

Non, je ne comprends pas qu’un type qui se prétende amoureux d’Audrey puisse lui faire le coup de venir fringué en Bozo le Clown pour l’enterrement de son père !

Ma fureur fait de moi le pire hôte de la création. Je me branle des gens venus cirer les pompes. Aujourd’hui, j’oublie le jeu de pouvoir qui se trame au bureau pour soutenir celle qui a été une seconde mère pour moi et sa fille. Les hostilités pourront bien reprendre demain, je sais que mon mentor n’aurait pas voulu que je mène une guerre un jour pareil.

La jalousie me bouffe, l’amoureux d’Audrey me sort par les yeux, je voudrais l’étrangler avec sa cravate hideuse ! Mais je reste immobile, observateur, tel un chat sur l’accoudoir.

 

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