Épisode 4 – William : Encaisser le choc

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Le Doc se répète. Une fois. Deux fois. Trois fois. Dix fois. Et c’est toujours la même incompréhension. La même putain d’incompréhension.

— Je ne comprends pas ce que vous entendez par « Nous sommes incertains de la tournure que vont prendre les événements », je rage, ma poigne tenant fermement la main de Madame Preston.

            Dès que je suis entré dans la chambre, elle s’y est accrochée. Perdue. Terrifiée. Je l’ai laissée faire. La blouse blanche déglutie, péniblement. Il tire sur le col de sa chemise à carreaux moches, embarrassé.

— Je veux dire que son état peut aller en s’améliorant comme…

— Ne le dites pas ! supplie l’épouse en pressant mes doigts. William, dites-lui que Preston Industry ne peut pas tourner sans son P.D-G. Qu’il ne peut pas en être autrement.

            Mes yeux se posent sur le visage tranquille de mon mentor, sa bouche violée par une foutue intubation. Il n’y a qu’une rage sourde qui boue en moi, et un profond déni. Bien sûr qu’il va se réveiller. Il va ouvrir les yeux, demander où en sont les chiffres et râler parce que Marjorie, la secrétaire, aura encore complètement déréglé l’imprimante. C’est une question d’heures. De jours, peut-être.

— Je vais vous laisser, s’éclipse le Doc en fuyant mon regard noir.

            C’est ça, dégage. T’es aussi apprécié qu’un steak chez des connards d’écolos végétariens.

            Cecilia s’effondre en larmes et m’abandonne pour pleurer sur son mari. Entre deux hoquets, je comprends que la princesse va débarquer. Rien d’étonnant, son papa chéri c’est ce qui s’apparente à toute sa vie. Je ne l’ai pas vu souvent, elle a eu tôt fait de déménager pour son boulot. Enfin, si on peut appeler ça un boulot de se dandiner devant des photographes.

— Cecilia, je vais aller aux bureaux.

            C’est net. Ça n’appelle aucune forme de refus. Il faut foutre la tristesse dans un coin, James Preston n’aurait jamais toléré que la boîte s’arrête pour lui. Il a bossé trop dur et foutu toutes ses tripes dedans pour que tout parte en couilles sur un accident.

            Je tourne le dos à ce corps inerte qui commence à réveiller quelque chose de désagréable en moi. Un truc que je me suis juré de ne plus jamais connaître.

            La peur de perdre une personne qui compte.

            Poings serrés, j’avance dans les couloirs la tête haute. Tout repose sur mes épaules. Et dans l’intimité de l’ascenseur, je m’autorise un profond soupir. Voilà des années que je le seconde. Je peux encaisser ça. Je peux diriger la boîte en son absence. Je peux être son régent.

            Non, William. Tu DOIS être son régent.

            Si ce n’est pas moi, alors ça sera un carriériste qui crève d’envie d’avoir la place pour s’approprier une vie de boulot. Et ça, ce n’est pas imaginable. Ni tolérable. J’ai été formé. Je n’ai pas peur de diriger. Au contraire, l’autorité est ancrée profondément dans mes gènes, comme une seconde nature prête à surgir à tout instant.

            J’aime avoir le contrôle. Sur tout. Tout le temps.

            Et j’attends du monde qu’il se plie à ma volonté. Car moi seul sais ce qui est bon pour lui.

            Je claque la portière, file entre les voitures qui s’accumulent sur les boulevards. Il n’est pas 8h00. Dans ma tête, le fil de la journée se dessine.

            Convoquer un conseil extraordinaire.

            Prendre mes quartiers dans le nid d’aigle.

            Faire les choses comme elles auraient été faites en présence de notre P.D-G.

            Et ce soir, être un bon prince qui va consoler une mère et une fille éplorées.

            Ma générosité fait naître un rictus. Je suis vraiment trop bon parfois. Mais je dois bien ça à Cecilia. Je n’oublie pas qu’à chaque Noël de l’entreprise elle m’offre des boutons de manchettes et me traite en digne héritier de son mari lorsque nous sommes amenés à nous fréquenter dans de grandes occasions.

            Preston Industry ne s’effondrera pas aujourd’hui. Ça, je le promets.

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3 réflexions sur “Épisode 4 – William : Encaisser le choc

  1. Il va vite déchanter quand il verra qu’Audrey est l’héritière désignée. Mais il semble le candidat idéal. Il a l’air d’être un bon gars au fond, qui veut le bien de l’entreprise. Par contre, sa relation avec Audrey ne sera pas facile, je le sens déjà ^^

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